La culture de la Femme

Les deux textes que vous allez découvrir ici sont avant tout des rencontres entre deux cultures, celle occidentale dans laquelle nous vivons et une autre africaine que l’on connaît bien souvent trop peu. A travers leurs deux écrits, Les Impatientes et Le Pays des autres, Djaïli Amadou Amal et Leïla Slimani ont respectivement cherché à mettre l’accent sur l’importance de la tradition et surtout sur la question du bien fondée de celle-ci.

Mais ces livres sont bien plus que de simples romans, ce sont même presque des autofictions tant les deux autrices ont mis du leur dans ces ouvrages. Elles s’inspirent en effet toutes deux de leur vécu pour témoigner des réalités des traditions de leur pays d’origine. Ainsi, à l’image des femmes présentées ici, Djaïli Amadou Amal sera forcée à se marier à l’âge de 17 ans avec un mari violent duquel elle s’enfuira quelques années plus tard.

Ne vous détrompez pas, ces deux livres sont terribles, durs, et pourtant bien réels. A travers eux, vous découvrirez la vie de quatre femmes, Mathilde, Safira, Hindou et Ramla. Quatre jeunes femmes aux destins différents mais pourtant liées par une seule et unique chose : la tradition. Face à elles, face à leurs volontés d’émancipations vient toujours se confronter la question de la tradition.

Voici donc au cœur du Pays des autres, la vie de Mathilde, une jeune alsacienne qui part vivre au Maroc après être tombée amoureuse d’Amine Belhaj. A ses côtés, elle fonde une famille et tente de s’intégrer dans ce nouveau pays aux coutumes si différentes de son Alsace natale. Mathilde découvre en même temps que le lecteur les différentes traditions marocaines et donc tout ce que cela lui impose en tant que femme. Mais si Mathilde découvre ces coutumes, il n’en va pas de même pour sa belle-sœur, Selma, qui elle tente tant bien que mal de s’en détacher. A son tour, elle finira mariée de force à un inconnu après avoir été aperçue en public au bras de son petit ami. 

Les Impatientes, de son côté, se dresse sous la forme d’un roman choral, présentant au lecteur la vie de Safira, Hindou et de Ramla. Ce sont trois femmes à qui la société a scandé toutes leur vie « Munyal », autrement dit, patience. Mais que faut-il attendre exactement ? Que doit encore attendre Hindou lorsque sa famille la marie de force à son cousin violent et ce malgré sa volonté évidente d’en choisir un autre ? Que doit-elle encore attendre lorsque la douleur de l’accouchement et des mauvais traitements la fait devenir folle ? Quant à Ramla et Safira, toutes deux mariées au même homme, jusqu’où doivent-elles faire preuve de patience ? Y a-t-il seulement quelque chose qu’elles aient le droit de ne pas supporter, elles qui, Femmes de nature, sont responsables de tous les maux ?

Au travers d’une vie dictée par des traditions, chacune de ses femmes se sent comme une « imposture », à qui il est interdit de respirer et de vivre par soi-même. Les traditions, quoi qu’il arrive, sont créées pour être immuables comme le dit Mathilde : « « Ici, c’est comme ça ». Cette phrase elle l’entendrait souvent. A cet instant précis, elle comprit qu’elle était une étrangère, une femme, une épouse, un être à la merci des autres. Amine était sur son territoire à présent, c’était lui qui expliquait les règles, qui disait la marche à suivre, qui traçait les frontières de la pudeur, de la honte et de la bienséance. »

Ces deux livres vont droit au but, s’ils décrivent des situations parfois violentes ce ne sont que le triste portrait de la réalité. A leur côté, plus de tabou, tous les thèmes doivent être abordés, toute vérité qu’elle soit bonne ou mauvaise doit être dévoilée au grand jour.

Mais les deux autrices ne se contentent pas de dresser un portrait défaitiste d’une société avant tout dirigée par des traditions désuètes. Ces traditions si immuables sont parfois questionnées, par des femmes certes, mais également par des hommes. C’est ainsi le cas d’Amine, le mari de Mathilde, qui se pose des questions sur les traditions qui l’entourent. A son tour, il se questionne et se cherche, allant même jusqu’à remettre en question ces fondamentaux qui lui ont été inculqués. Car peut-être que la deuxième vraie question posée par ces deux livres tient de l’avenir. Faut-il se questionner à notre tour sur nos propres façons d’appréhender ce que l’on transmet à nos enfants. Comment de leur côté reçoivent-ils ce qu’on croit être juste et bon pour eux ?

Au final, ces deux livres sont construits autour d’un même style sobre et efficace. Le quotidien de ces femmes est décrit de manière à la fois simple et percutante.

Ainsi, ces deux femmes se font à travers leur plume « les voix des sans voix », avec force, elles témoignent et dénoncent ces pratiques abusives qui restent autorisées sous la couverture de la tradition. Mais ainsi que le déclare Leïla Slimani, « si les romans ne changent pas le monde, ils modifient la vision que l’on en a. Ils la questionnent, l’affinent, ils interrogent ce que l’homme sait du fait d’être ». Alors à ses côtés n’hésitez pas et commencez ces deux livres qui, pour sûr, vous apporteront beaucoup.

4 réflexions sur “La culture de la Femme”

  1. Léa Gentil-Fontaine

    J’apprécie la manière dont l’article pousse le lecteur à la réflexion. Les traditions sont, par définition même, profondément ancrées dans nos mœurs ; il est donc peu commun qu’elles soient remises en question de manière systématique. En s’appuyant sur les récits de ces deux autrices, l’article invite le lecteur à s’interroger sur les pratiques et doctrines qui ont pu lui être inculquées dès sa naissance.

    1. Delphine Hove

      Votre commentaire peut aussi faire penser à la remise en question des expressions évoquant les femmes dans le roman de Camille Laurens.

  2. Paola Malgorn

    Article très bien rédigé et qui met en avant la richesse de la littérature francophone.
    Ces deux romans m’ont rappelé la lecture des romans de Rachid Boudjedra (La Répudiation) et de Driss Chraibi (Le passé simple), mais avec la qualité de présenter ces thématiques sous le prisme de l’écriture féminine.

    1. Delphine Hove

      Beau commentaire, c’est en effet, plus largement que la question de la femme, un questionnement sur l’identité que posent les auteurs actuels, et qui dans notre monde multiple, dépasse les clivages anciens.

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