La femme, une personne avant d’être un genre.

“On ne naît pas femme, on le devient” écrit Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe, ce qui pose la question de la femme et de l’identité. Se définir en tant que femme se pose souvent en termes d’opposition au masculin et de la violence comme en témoigne le nouvel #Double Peine. C’est ce que développent et nous font comprendre Camille Laurens et Nina Bouraoui par leurs subtilités, leurs styles et surtout avec leurs plumes, dans leurs romans respectifs Fille et Otages.

Nos deux autrices sont deux femmes qui vont se délivrer de l’emprise de leur éducation en usant de techniques très différentes. Leurs deux romans présentent la femme sous un nouveau jour, on y détruit les préjugés. Camille Laurens va même énoncer les préjugés en choquant, pour ensuite tout démonter avec une unique phrase « Une fille, c’est bien aussi » ; « Parfois, il suffit d’une phrase pour faire tomber des monuments ». On pourrait dire que Camille Laurens utilise le roman pour en faire finalement un essai. Alors que dans Otages, on découvre une femme à bout par la soumission des hommes, de ses problèmes personnels et en commettant un délit, elle va se trouver libérée en prison en se découvrant non pas en tant que femme, mais en tant que personne.

Ces deux romans sont un hymne à la liberté et aux droits de la femme, davantage en utilisant la distanciation par l’humour chez Camille Laurens et de manière plus grave chez Nina Bouraoui. Ils démontrent comment on dogmatise les adolescents dès leur plus jeune enfance sur l’idée de ce qu’est une femme. Les autrices nous apprennent à dire « je » et elles-mêmes l’apprennent au fur et à mesure des deux romans, on comprend comment s’émanciper. Elles veulent nous faire comprendre par leur style et par le choc de certains propos, que l’on ne peut plus laisser passer ça. Se battre face à l’oppression généralisée, et surtout des dites « mœurs » que l’on essaye de faire passer dans notre enfance. Attention, le bleu c’est pour les garçons, et le rose pour les filles ; chacun sa couleur !

Chacune des écrivaines se manifeste de manière différente, Nina Bouraoui reste du côté de la fiction alors que dans Fille, nous avons un aperçu autobiographique de Camille Laurens. Plusieurs indices s’égrènent tout le long du roman. En tant que lecteur, on peut reconnaître, dans Fille, la femme agrégée de lettres, par son analyse phonétique traitée de manière naïve par une petite fille qui nous fait lire d’un nouveau regard la définition de la femme. Mais surtout la femme de son époque, la femme que l’on lui décrivait lorsqu’elle était jeune : la femme au foyer, celle des années 80. On avance des arguments à la petite Laurence et tout lui prouve que la femme est comme inférieure à l’homme et ne peut rien y faire, c’est la nature ! Tout le prouve et tout le monde le sait ! C’est ce qui fait que le personnage de Nina Bouraoui est déjà l’otage d’elle-même. 

Dans Otages, le personnage principal, Sylvie, se libère de l’emprise des hommes en prenant en otage son patron et arrivera par la case prison. Case qui l’aidera à se retrouver. La prison lui permet de se recentrer sur elle-même, de ne plus penser aux autres qui dépendent d’elle : ses enfants, son divorce, son travail. Elle pense à elle et plus aux problèmes qui l’entourent. Elle relâche la pression et se redécouvre en tant que femme à part entière, pas la femme de, mais en tant qu’être humain. Le personnage commence dans les premières pages du roman à avouer sa haine envers les hommes, pour terminer comme une dédicace inattendue et touchante à son ex-mari qui montre Sylvie comme une femme dénuée de colère, elle est apaisée et elle nous englobe de cette sérénité . Elle fait comme un retour aux sources puisqu’elle n’a jamais pu avouer ce qu’elle avait subi étant jeune, et l’énoncer devient comme réparateur. La prison a été une manière pour elle de souffler, comme un havre de paix, de repos et peut-être de remise en question de soi-même. Être face à ses responsabilités envers soi et pas ceux des autres, elle est responsable d’elle et de son corps. Et elle doit en prendre soin. Sylvie n’est pas juste une femme, elle est une personne avec des sentiments qu’elle a le droit d’exprimer sans devoir rendre des comptes aux autres. Elle a toujours retenu ses émotions et s’est privé de la parole, en relâchant tout et en prenant en otage son patron, on trouve dans le roman une femme qui se livre complètement sur ce qu’elle pense sur les hommes, et même sur tout. 

Nina Bouraoui, par le titre de son roman, nous fait une déclaration sur ce que va exprimer son livre. Elle écrit Otages avec s, la personne en otage dans ce roman est-il réellement son patron ? Et dans Fille, Laurence Barraqué ne serait-elle pas l’otage des préjugés qui jalonnent sa vie ? Les personnages captifs ne seraient-ils pas plutôt des femmes ? 

Auteur

  • Bac S suivi d'une licence de Lettres modernes Passionnée par la littérature de tout type de genre, je souhaite devenir éditrice ou assistante d'édition ou même coordinatrice dans une maison d'édition parisienne.

6 réflexions sur “La femme, une personne avant d’être un genre.”

  1. Gustave Fosse

    Très bon commentaire croisé qui fait ressortir les qualités spécifiques à chaque roman. L’analyse est profonde pour un article relativement court, cela prouve selon moi la pertinence du choix de ces oeuvres si différentes mais se faisant écho sur de nombreux points. L’article est de plus bien écrit, bien structuré, et les questions posées à la fin donnent envie de se plonger dans ces livres pour en comprendre le message.

  2. Caroline De Bleeckere

    Une introduction très bien construite, la citation de Simone de Beauvoir nous plonge immédiatement dans la démarche “féministe” de la critique et donne parfaitement le ton des deux œuvres étudiées, tout en ramenant cela dans l’actualité avec le #Doublepeine.

    1. Delphine Hove

      On peut aussi évoquer la notion forte d’ “otage” physique ou psychologique qui préside au lien effectué dans l’article.

  3. Perrine Marsy

    Cet article retranscrit parfaitement la réflexion de Camille Laurens et Nina Bouraoui dans leurs ouvrages respectifs. On y retrouve une vérité crue, choquante et même blessante sur l’identité de la femme ; j’ai notamment beaucoup aimé le clin d’œil à cette oppression généralisée que l’on nous impose dès notre enfance par le choix des couleurs “le bleu c’est pour les garçons, et le rose pour les filles”, comme si une simple couleur pouvait nous définir. Enfin, j’aimerais souligner le travail d’analyse stylique des deux autrices, surtout sur le plan phonétique. Cet article me donne l’envie de lire plus en détails les romans Fille et Otages. Merci Valentine pour ton travail 🙂

    1. Delphine Hove

      Il est certain que notamment le roman de Camille Laurens déconstruit intelligemment les stéréotypes en se fondant sur l’analyse des lexiques, ô combien intériorisés ! Cela ouvre sur la question controversée de l’écriture inclusive. Peut-on vraiment penser que celle-ci soit vraiment la solution à tout?…

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