Des voix lues et des voix vues.

Dans nos productions culturelles récentes, la narration est de plus en plus fractionnée, distribuée à différents personnages, c’est la polyphonie. 

Le roman La Maladroite d’Alexandre Seurat raconte les événements qui suivent la mort de la petite Diana qui était maltraitée et battue par ses parents. De nombreux points de vue se suivent, se croisent ; tant de gens qui ont connu l’enfant et qui parlent des signes avant-coureurs, de l’inaction des autres ou la leur, des « on aurait dû ».

Dans la série espagnole Elite, on suit tout un groupe de lycéens, sachant qu’un meurtre a eu lieu, ou aura lieu, selon la scène ; la temporalité n’est pas fixe. Mais, s’agissant d’une série, la narration polyphonique n’a pas la même utilité, et n’est pas utilisée de la même manière.

La série, produite par Netflix, a tout d’un produit, plus que d’une œuvre créée pour des raisons artistiques. Tout est fait pour captiver et fasciner le spectateur. À cet égard, la polyphonie sert notamment au suspens, aux développements parallèle des personnages au fil des épisodes afin de nous y attacher et brouiller les pistes de l’enquête, avec diverses temporalités pour ne pas simplifier les choses …

Dans La Maladroite, la polyphonie n’est pas là pour « romancer » le meurtre, le rendre intéressant. C’est un fait divers comme il en arrive malheureusement au quotidien, et la polyphonie vient capter des choses profondes comme les états d’âme des personnages, leur culpabilité ou leur déni. Alexandre Seurat raconte une réalité dure, et la polyphonie est moins utilisée comme ressort esthétique ou artistique pour la forme qu’elle n’est le réel fond du récit.

Ce ne sont là que deux exemples, mais la polyphonie est fortement présente dans nos productions culturelles. Je pense que cela a à voir avec notre époque : mondialisée, fourmillante de voix, dynamique. Nous avons plus que jamais conscience de la présence des autres dont on entend plus facilement la voix qu’avant. Netflix sait comment produire des séries pour capter son public : suspens, morbidités, rythme effréné, et utilise la polyphonie pour que ledit public s’identifie à un personnage en particulier et ajouter encore plus de suspens … Dans une œuvre comme La Maladroite, Alexandre Seurat ne cherche pas à plaire, il veut dire vrai, pas forcément joli. La démarche n’est pas la même. La polyphonie n’est pas utilisée afin que le lecteur s’identifie à un personnage en particulier, mais qu’il y reconnaissance la société à laquelle il appartient ; théâtre de drames similaires à celui raconté dans le roman. C’est une polyphonie qui offre plus de réalisme à l’œuvre : toutes ces voix n’ont qu’une part de la vérité, part qui est vécue différemment chez chacun. Ce choix narratif permet de retranscrire le marasme de ces faits divers où il faudrait en effet regrouper de nombreux témoignages pour espérer comprendre ce qu’il s’est réellement passé. 

La polyphonie capte l’attention, multiplie les récits, dynamise. De ce point de vue, elle peut être utilisée comme simple accapareuse d’attention autour du produit même, tout comme elle peut, dans d’autres œuvres, avoir un rôle cathartique, être représentative de la multiplicité des voix qui nous entourent et avoir un but au-delà de l’œuvre même.

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