La femme dans le roman actuel : de la violence à la résilience

La lutte contre le sexisme et la question de la condition féminine sont au coeur de nos sociétés ces dernières années. Dans la sphère politique, des mouvements comme #MeToo cherchent à inverser la tendance, à combattre des inégalités entre les sexes qui ont été banalisées voire institutionnalisées. 

Dans la sphère artistique, cela se traduit par des oeuvres engagées ; celles-ci mettent les femmes à l’honneur dans des rôles forts, loin des clichés auxquels elles sont affiliées à l’accoutumée. Cette place n’est pas franchement nouvelle, la représentation l’est un peu plus. Dans Otages de Nina Bouraoui, Sylvie, le personnage principal, craque face à son patron après avoir trop enduré dans sa vie personnelle. Elle le séquestre, et le récit intérieur de la protagoniste dure jusqu’à son emprisonnement. Cela donne un portrait au vitriol de la société actuelle, des relations personnelles via l’histoire de son couple aujourd’hui séparé, et de sa condition de femme. Le style de Nina Bouraoui est parfaitement adapté à son personnage et au récit : c’est un long monologue intérieur, composé de phrases courtes, parfois assassines. Ce monologue réagit aux évènements extérieurs ou se perd en lui-même : tant de pensées que le personnage de Sylvie a en tête mais qu’elle ne peut pas exprimer, elle est déjà son propre otage. Il y a une distance marquée entre le for intérieur de Sylvie et son extériorité.

Plus que l’affirmation d’une femme, c’est l’affirmation d’une femme face à une société patriarcale qui l’a diminuée toute sa vie. C’est avec des mots crus que sont représentées les violences, physiques ou symboliques, que les hommes font subir aux femmes.

Sylvie, à propos de son divorce, dit: « Il y a des hommes qui ne s’en vont pas et souvent ça tourne mal, voire très mal, au mieux c’est la guerre à la maison, au pire c’est le carnage et tout le monde meurt. Mon mari nous a épargnés, il est parti avec son vide, il n’a rien fait payer à personne, ni à moi, ni à ses fils, c’est aussi pour cette raison que je ne lui en veux pas. Il nous a laissés en vie. »

La résilience est l’angle par lequel la condition féminine est abordée ; Sylvie est désabusée, plus rien ne l’étonne, et elle ne regrette à aucun moment ce qui a pu l’envoyer en prison. 

Cette même violence est utilisée par Camille Laurens dans son roman Fille pour dénoncer le même sexisme, mais ici de manière moins frontale. Dans ce livre, Laurence est suivie depuis son enfance, et on la voit être imprégnée du sexisme ambiant et l’intérioriser jusqu’à ce qu’elle en reproduise le schéma avec sa propre fille. Le paradoxe, malheureusement existant, est allégé par le ton pris par l’autrice. Camille Laurens dénonce l’absurdité du sexisme par l’humour ; « La fille est l’éternelle affiliée, la fille ne sort jamais de la famille. Le Dr. Galiot, au contraire, a eu un garçon et un fils. Tu n’as qu’une entrée dans le dictionnaire, lui en a deux. »

« Julien ne fait pas exactement les mêmes exercices que nous, le maître explique que dans le ballet classique le garçon est là pour porter la fille, la soutenir, la mettre en valeur, « comme dans la vraie vie » […] Moi, je ne comprends pas trop comment ce petit bout de Julien pourrait soutenir un gras du bide comme moi mais on verra plus tard. »

Mais le ton parfois léger, notamment lors de l’enfance de Laurence, laisse place à un constat amer : elle est prisonnière de sa condition et sa propre geôlière. Cette idée d’emprisonnement apparaît également dans Otages ; la prise d’otage est symbolique. Sylvie est prise en otage dans sa condition de femme, se sent menacée par les hommes qu’elle considère plus forts qu’elle physiquement. La prise d’otage de son patron est un renversement symbolique de sa situation ; c’est elle qui prend le pouvoir. Cette prise d’otage a lieu après que le patron demande à Sylvie de licencier des gens : le renversement de situation est autant celui de la femme contre l’homme que celui des opprimés contre les opprimants dans leur généralité. 

On retrouve cette symbolique d’une unité dans la lutte des opprimants contre les opprimés à la fin de Fille. Laurence reproduit le schéma sexiste dans lequel elle a toujours vécu en rejetant l’homosexualité de sa fille. Cette dernière cherche à faire comprendre ce qu’elle est à sa mère. Ici, la lutte pour l’expression de la sexualité se substitue à celle de l’expression du genre. Et c’est seulement sous le regard maternel de sa fille que Laurence semble comprendre la prison dans laquelle elle s’est enfermée: 

« Tu sais, maman… », reprend-elle — elle articule, et il y a dans sa voix, c’est drôle, un soupçon de pédagogie —, « tu sais, une fille, c’est bien aussi. Et même… » — elle sourit comme à un souvenir —, « c’est merveilleux, une fille ».

Parfois, il suffit d’une phrase pour faire tomber des monuments.

Gustave Fosse

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