Polyphonie et décentrement

A l’heure d’une société portée sur le culte de soi, pourquoi ne pas prendre le temps du recul et du décentrement ? Pourquoi ne pas chercher à découvrir l’autre et les liens qui nous unissent ? Car la littérature n’est-ce pas cela au fond ? « Une clameur multiple et une, qui rassemble les langues du monde, les peuples, les vies » comme le dit si bien Patrick Chamoiseau dans Texaco.

Ces questions, les auteurs des dernières décennies les ont particulièrement entendues et travaillées comme en témoignent les multitudes d’œuvres chorales qui émergent en littérature comme au cinéma.

Prenons l’exemple de l’autrice Laeticia Colombani, révélée au grand public par son roman La Tresse, un sublime roman choral présentant l’histoire de trois femmes de par le monde, liées sans le savoir par quelques mèches de cheveux. A travers elles, le lecteur découvre au fil du récit trois cultures et trois destins différents, portées par des femmes d’une force éclatante. Le choix d’une polyphonie narrative est particulièrement intéressant puisque cela permet au lecteur de rentrer véritablement dans l’histoire de ces femmes, cherchant dans chaque chapitre les liens qui vont les unir par la suite.

Cette méthode est d’ailleurs reprise régulièrement dans le paysage cinématographique contemporain. Christopher Nolan par exemple en fait un usage brillant dans son film Dunkerque. Il joue avec les points de vue et entremêlent les destins au cœur de différentes timelines.

A son tour et comme Laeticia Colombani ou bien d’autres auteurs avant eux, ils utilisent cette polyphonie pour faire jouer le spectateur, lui offrant trois points de vue différents. Une nouvelle fois, le spectateur se surprend à chercher les liens entre chaque histoire indépendante, à tenter de découvrir le point de contact avant même que celui-ci ne passe à l’écran. Plongé dans la subjectivité de plusieurs points de vue, le lecteur évolue en même temps que l’œuvre mais a toujours un temps d’avance sur chacun des personnages individuellement.

Plus qu’un simple procédé de construction, cette polyphonie est une véritable tentative de mise à l’épreuve du spectateur ou du lecteur, le laissant jouer avec les éléments qui lui sont offerts petit à petit dans l’objectif de reconstituer le puzzle des évènements et des liens entre les personnages avant même que l’auteur ne lui offre la solution.

Mais prenons garde à ne pas trop abuser des bonnes choses ! A trop vouloir jouer avec ce mode de narration, le lecteur commence à ne plus avoir l’effet de surprise escompté, celui de se demander pourquoi on parle de personnages différents. Dès les premières lignes, il sait dorénavant ce qui l’attend. Des destins liés – si possible dans le pathos –, souvent le même chiffre de trois ; si la surprise n’est plus là, la lassitude, elle, s’approche dangereusement… 

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